En état de choc
Cela fait maintenant cinq semaines que le ciel nous est tombé sur la tête. En ce qui me concerne, cinq semaines en quasi-état de choc, un genre de déni devant la gravité de la situation. J´ai beau entendre les chiffres, écouter les témoignages poignants de souffrance et d´inquiétude, m´accrocher à certains scénarios de reprise, j´avoue que cela me touche à peine. Comme si une buée empêchait mes yeux de distinguer le réel, comme si mon esprit n´arrivait pas à mesurer l´ampleur de la crise, comme si mon corps bougeait à la façon d´un automate.
Je fonctionne : j´ai adopté une nouvelle routine, j´entreprends des t ches trop longtemps reportées, je me surprends à appeler de nombreuses personnes, je prie davantage et apprécie ce silence forcé. Mais ce que je fais le mieux habituellement i.e. réfléchir et écrire, est pratiquement paralysé. Trop de nouvelles informations! Trop d´inconnus avec lesquels composer! Trop de situations complexes à comprendre! Trop de statistiques à analyser! Je suis complètement déstabilisée. Depuis que j´ai réalisé que je suis une personne gée. Mes 70 ans bien sonnés me privent de mes moyens habituels. Je suis une personne vulnérable au dire de la santé publique. Ce qu´on me demande, c´est de rester à la maison. Le service que j´ai à rendre, c´est de me retirer pour me protéger et ne pas nuire.
Jamais je n´ai éprouvé autant ma pauvreté et mon impuissance. Mon devoir est de réprimer mes envies de faire moi-même l´épicerie. Ma responsabilité est de ne pas répondre aux appels de bénévolat dans les centres de distribution. Je ne peux même pas prendre la relève des parents en recevant à la maison mes petits-enfants. Je me sens sur la touche et cela me demande humilité et l cher-prise.
Jusqu´à ce jour, j´étais en état de choc, mais je sens que je sors peu à peu de ma léthargie et de mon silence.
Je reprends la plume pour mieux coucher sur papier mes états d´ me, pour questionner mes pratiques d´avant et choisir plus consciemment ce que je veux désormais, pour jeter un regard critique sur notre agir collectif et partager mes réflexions, pour laisser monter ce qui sourd de mon cur, là où l´Esprit du Ressuscité souffle, et travaille.
Yvonne Demers