« Petit traité d'histoire des religions »
Dans ce livre de vulgarisation intitulé «Petit traité d´histoire des religions , publié dans la collection Essais/Points 654, Frédéric Lenoir, philosophe, historien des religions, chercheur en plus d´être directeur du magazine Le monde des religions, nous trace un aperçu concis et fort intéressant sur le sentiment religieux des origines de l´humanité jusqu´aux différents systèmes religieux qui ont accompagné l´aventure humaine.
Pour qui veut comprendre le phénomène religieux et son développement depuis l´origine de l´humanité jusqu´à aujourd´hui, ce livre remplira bien cette fonction. Je ne m´arrêterai qu´à la conclusion synthèse où il pose la question : « Existe-t-il un évolutionnisme de la spiritualité comparable à celui de l´évolution de espèces ? » à la p. 335.
Au 19è siècle, on identifiait trois étapes dans l´évolution de la pensée religieuse : le fétichisme, le polythéisme et le théisme. Arrive le naturaliste Charles Darwin avec sa théorie de l´évolution des espèces qui va influencer la théorie de l´évolution religieuse. Puis, Edward Taylor anthropologue anglais, parlera alors d´animisme (croyance en l´existence d´un esprit en toute chose), de fétichisme, de naturalisme, de polythéisme et de monothéisme comme aboutissement de ce long chemin. L´étude comparée des religions naît vers la fin du 19è siècle et du début du 20è : la perspective y est évolutionniste dans le sens d´un progrès de la race humaine et dans la croyance en la supériorité du christianisme sur les autres religions. Les grands sociologues du 20è siècle décriront le fait religieux comme répondant à un besoin social et les religions comme régulateurs des sociétés selon leur culture propre. Aujourd´hui la supériorité du monothéisme n´est plus débattue par eux.
Max Weber apportera l´idée que la rationalité a influencé les humains dans leur représentation du monde et dans son aménagement concret. Cela a un impact certain dans l´évolution de la religion :
- Le monde devient désenchanté, réduit à un objet d´observation et de connaissance.
- La raison intervenant de plus en plus dans le sentiment religieux, on est passé de l´animisme à un stade polythéiste puis monothéiste.
- Or il y a remise en question de la rationalisation et de l´organisation de la religion qui a perdu la spontanéité du sentiment religieux des primitifs car la quête s´organise plutôt vers des expériences naturelles ou mystiques en délaissant normes, dogmes et institutions.
Le philosophe Karl Jaspers identifie pour sa part quatre moments-clés dans l´évolution humaine qui ont un impact sur le religieux :
- Le néolithique (-12,000 ans avant notre ère) avec le début de la sédentarisation des humains qui étaient avant des nomades cherchant à survivre dans la nature (paléolithique)
- Les premières cités et civilisations antiques (-3,000ans avant notre ère) jouissant de l´écriture d´une organisation sociale
- Les grands empires : en Mésopotamie, Grèce, Égypte, Asie (-500 ans avant notre ère)
- Enfin la modernité (1,500 et +)
Cet impact sur le religieux a été identifié par Yves Lambert qui a relié ces moments-clés avec certaines transformations majeures du religieux :
- Au paléolithique : le chamanisme
- Au néolithique : religion orale et culte aux dieux
- A l´apparition des cités : les religions polythéistes antiques
- Avec la naissance des empires : les religions universelles de salut
- Avec la modernité : bouleversement religieux moderne, remise en cause et apparition de nouvelles formes religieuses.
F. Lenoir observe qu´à travers ces ruptures, de nombreux aspects de la religiosité perdurent tels : la communication avec des êtres ou forces invisibles, les rituels de mort, les offrandes, les sacrifices, les prières Et il pose la question à savoir s´il existe un fil conducteur à travers cette évolution des origines à aujourd´hui. Il répond que oui. Voici sa position.
Pour lui, c´est « l´arrachement progressif de l´humanité à l´ordre naturel » et il soutient l´indéniable influence du « processus de rationalisation théorisé par Max Weber ». Il explique cela ainsi :
- L´homme est d´abord une partie intégrante de la nature (chasse, cueillette, survie, crainte et vénération devant les forces de la nature)
- Puis avec les villages, par l´agriculture et l´élevage, il commence à domestiquer la nature. Le culte des dieux montre une prise de conscience de lui comme étant distinct de la nature environnante
- Arrive l´écrit et les regroupements en villes, l´homme vit dans un espace séparé de la nature, il devient médiateur entre le monde divin et le monde terrestre par les rituels qui contribuent à maintenir le monde en vie
- Puis l´homme commence à se penser et cherche à comprendre le monde par une explication rationnelle, il observe pour comprendre les lois sans référence à un système religieux. L´homme se conçoit comme l´expression la plus haute du cosmos. Bien qu´il en fasse partie, il s´en distingue par ses capacités. Peu à peu le rapport à l´Absolu va passer non par la nature mais par l´histoire, par les événements situés dans le temps humain.
- La modernité avec la Renaissance et la rationalisation va terminer le processus de sortie de l´ordre naturel avec les sciences expérimentales, les révolutions technologique et industrielle. Le processus de domination de la nature par l´homme amène à considérer le monde comme désenchanté et à déconsidérer religion et morale.
Toujours selon F. Lenoir, un retournement est en voie de se produire. Les institutions et discours religieux sont en crise. La rationalisation a fait son uvre. Mais les humains d´aujourd´hui pensent que le monde ne se réduit pas à sa dimension matérielle et à ses lois scientifiques, qu´il est multidimensionnel. Ils recherchent à le réenchanter, ce qui amène à retourner à ce qu´ils ont connu au début de l´humanité : retour à l´émotion, à la dimension intérieure et mystique, à l´unification du corps et de l´esprit, de l´humain et de la nature. Il y a donc retour à des formes anciennes de religiosité. Comme quoi l´évolution peut vivre des retournements, des reprises tout en conservant les acquis de la science.
Finalement F. Lenoir constate que la figure de Dieu a subi des métamorphoses :
- Le passage d´un Dieu personnel à un divin impersonnel, à un divin mystérieux non anthropomorphique qui est force, énergie, esprit, inconnaissable
- Le passage d´un Dieu lointain et extérieur à un Dieu intérieur, au plus intime de soi
- Le passage d´un Dieu aux qualités masculines : tout-puissant, législateur à un Dieu aux qualités féminines : protecteur, bienveillant, tendre
Il signale enfin deux tendances actuelles : la globalisation et l´individualisme qui font en sorte que l´individu cherche ce qui lui convient plutôt qu´à se soumettre aux normes établies ou à une tradition, en sorte que les religions à travers le globe sont source de confrontation autant que de communion.
Denise Bellefleur-Raymond